"Souvenirs
d’enfance à l’école de la
Croix Rouge : 1938-1945
Monsieur WEISWEILLER
La
Croix Rouge était un
village qui, au fil des ans, est devenu
un gros quartier d’Antibes. Les serres d’asparagus,
d’œillets et de roses ont
laissé la place au béton. Quelques plantations
ont résisté, mais bien peu, et
c’est dommage…..
Notre
mécène fut Monsieur Guy Weisweiller. Que de
gentillesses pour notre Ecole ! Noël :
c’était l’achat de jouets pour
les enfants les plus jeunes et de livres pour les grands,
l’envoi de paniers
d’oranges et de mandarines récoltées
à l’Altana. La distribution des
prix : c’était encore l’achat
du livre dont chaque élève était
doté.
Ajoutez à tout cela le chèque indispensable
à l’organisation de la fête ...
Ce
grand ami de notre école nous avait en outre
proposé, au
cas où un élève pourrait poursuivre
des études et le désirerait, de subvenir
aux frais nécessaires au financement de celles-ci, quelle
qu’en soit la durée.
Certaines familles furent aidées en ce sens. Mais tout
était fait dans la plus
grande discrétion.
Ce
fut un homme remarquable pour notre quartier.
Encore merci Monsieur Weisweiller !
Mademoiselle BARBIERI
L’école
de la Croix Rouge ne
fut d’abord qu’une école de
plein Air où Mademoiselle Barbiéri enseignait
seule.
C’était une classe de
mi-temps. Le reste de ce grand espace était le terrain de
jeux
de tous les
gamins du quartier….
Si
je peux vous en parler, c’est que j’en connais
encore
quelques-uns qui m’ont raconté leurs farces. Le
football est un était là, sans
pitié ...superbe sport ;
hélas ! le ballon n’arrive pas toujours
où
il devrait et les vitres brisées furent parfois
l’objet de « scènes
épiques » parait-il. Il semblerait
même que les enfants aient été
menacés
plusieurs fois de l’intervention de la
police !
L'école sous la diection de Madame SALIGNON
gtemps mais assez pour nous apprendre la
politesse, les bonnes manières et le respect des autres.
Cela éveillait la
sensibilité chez l’enfant et ce que no
Elle se composait alors de trois classes. La classe du milieu
était celle de la
Directrice Madame
Salignon. Au dessus un appartement était
occupé
par un enseignant et sa
famille. Cette classe était celle des grands qui
préparaient le
« Certificat d’Etudes
Primaires »,
c’est-à-dire la plupart, et ceux
pour l’examen
« d’Entrée en
Sixième »,
c’est-à-dire une
minorité.
Les classes deux et
trois de chaque côté étaient pour les
petits et les moyens. Les hivers, dans
ces dernières, il y faisait très froid car le
bois et le charbon n’arrivaient
pas. Alors le matin nous arrivions avec chacun notre bûche
sous le bras,
provision ainsi pour la journée et nous avions tous
hâte de grandir pour
arriver dans la classe de la Directrice
qui était moins froide puisque habitée au dessus.
De temps en temps on nous
dirigeait au fond de cette classe pour nous réchauffer un
peu.
A la récréation nous devions ramasser toutes les
feuilles
mortes jusqu’au moindre papier, aussi nous n’en
jetions guère car n’importe
comment il nous fallait aussi les ramasser. Le tout était
déposé dans une
petite fosse où le Maître lui-même y
mettait le feu. Nous ne considérions pas
cela comme une corvée et étions heureux de
contribuer à une école propre.
Le soir après la classe une femme de service
débonnaire et
je me souviens un peu boiteuse, passait vider les corbeilles
à papiers. Le sol
des classes n’était pas carrelé mais
simplement fait de ciment brut, aussi
donnait-elle de grands coups de balai non sans avoir, au
préalable, humecté le
sol à l’aide d’une bouteille
d’eau qu’elle agitait de gauche à droite
devant
elle afin de ne pas trop soulever de poussière. Quelques
grands seaux d’eau
dans les cabinets turcs au fond de la cour et le ménage,
réduit à sa plus
simple expression, était
fait. Pour ce
qui était de la poussière sur nos pupitres de
temps à autre nous prenions notre
chiffon de l’ardoise mais, le plus souvent,
c’était fait avec les manches de
nos tabliers, car nous avions pratiquement tous le tablier.
Les instituteurs voulaient voir les visages aussi avions
nous tous les cheveux soit coupés courts,
attachés en nattes ou tenus avec des
barrettes. Pas de cheveux devant les yeux ou tombant sur le cahier car
nous
écrivions à l’encre en prenant soin de
faire les « pleins » et les
« déliés »
avec des plumes « sergent
major ». On faisait
usage du buvard, pour sécher l’encre,
que nous gardions sous la main gauche toujours
prêt à l’emploi. Il y en
avait de très doux et cotonneux
généralement verts ou jaune canari.
Nous bénéficiions d’un très
bon enseignement strict mais
efficace. Les punitions consistaient à nous mettre au coin
avec les mains sur
la tête, c’était pénible mais
on ne nous y laissait pas bien longtemps. On se
faisait parfois tirer l’oreille ou les cheveux,
des tapes aussi fusaient pour les plus
récalcitrants et on se gardait
bien de dire à la maison qu’on avait
reçu une gifle de l’instituteur car nos
parents nous en collaient une autre aussitôt tellement
existaient le souci de
l’obéissance et le respect de l’Ecole et
des Maîtres. C’était l’Ecole
de
« Jules FERRY ». On en est bien
loin aujourd’hui et je plains les
Maîtres et les Professeurs de notre époque
où malheureusement l’autorité est
bafouée. Les enfants à la maison, à
l’Ecole et dans la vie doivent
comprendre que la barrière de
l’autorité et du respect ne doit pas
être franchie et cela en fait de bons
citoyens. Je suis heureuse qu’il m’ait
été donné de faire partie de cette
catégorie.
Les récompenses consistaient
en l’attribution de « Bons
points » et au bout de dix cela
vous donnait droit à une image les mêmes que nous
trouvions dans les tablettes
de chocolat Meunier. On avait presque tous un petit album et on les collait aux
endroits prévus à cet
effet. Mais bientôt il n’y eut plus de chocolat
dans le commerce et les
collections restèrent inachevées. Le soir nous
clôturions notre journée de
travail par la confection d’une frise à notre
convenance coloriée avec nos
crayons de couleurs ce qui égayait nos cahiers et
était en même temps un moment
de détente.
Au cours préparatoire des cinq et six ans, le lundi matin
commençait par la leçon de morale. Ce cours
était vraiment salutaire et ne
durait d’ailleurs pas très lon
us avions appris, appuyé par une citation
au tableau, nous guidait pendant toute la scolarité et plus tard dans la vie.
Le samedi soir on
se quittait avec le conseil d’avoir à accomplir,
si l’occasion se présentait à
nous, une bonne action et, le lundi en entrant, nous racontions ce que
nous
avions fait le dimanche dans ce domaine. Il est bien dommage que ces
cours de
morale n’aient plus lieu dans les écoles et il
serait grand temps de les
reprendre aujourd’hui.
Chez les
grands !
Enfin
nous étions chez les grands. Madame Salignon
était une
femme assez grande, aux formes généreuses et cela
lui
allait bien. Son visage était plutôt jovial mais
sa mine
sévère. Son regard nous fixait à
travers de grosse
lunettes d’écaille et nous impressionnait ; quand
elle les
baissait sur son nez pour nous regarder par-dessus,
c’était pire encore.
Un chignon
toujours bien en place complétait sa mise. Elle
avait beaucoup de prestance et nous en imposait.
Pour ce qui est
de la discipline, la Directrice poussait, de temps en
temps, avec les dents serrées, des « et bien
» et
des « qu’est-ce que c’est »
d’une voix
acide qui, en général, suffisaient à
ramener le
silence.
Il faut dire
qu’à deux divisions par classe ce
n’était pas de tout repos. Il fallait
présenter en
fin d’année des élèves au
Certificat
d’Etudes ainsi que quelques-uns à
l’examen
d’Entrée en Sixième. En ce qui concerne
ces
derniers, ils étaient repérés
à partir du
Cours Elémentaire et d’après les
classements
mensuels.
Madame la
Directrice n’aimait pas les échecs et se
faisait
un point d’honneur à ne présenter aux
examens que
les candidats dont elle était à peu
près
sûre, aussi on travaillait d’arrache-pied. Elle ne
nous
témoignait pas trop d’affection,
c’eût
été perdre un peu de son autorité.
Elle se tenait
sur l’estrade, derrière son bureau rectangulaire
fermé des trois côtés,
d’où elle avait
une vue directe sur l’ensemble de la classe.
L’hiver
il faisait bon dans cette classe. Le poêle
était en haut près du tableau et, pour nous faire
face,
elle se plaçait devant, exposant son dos à la
chaleur, en
se balançant doucement sur la pointe de ses pieds. Comme
elle y
venait très souvent j’en déduisis
qu’elle
avait les fesses froides et comme à la maison, je voyais ma
Mère dans la même posture devant notre vieille
cuisinière noire, j’en conclus qu’il
s’agissait là d’un
phénomène
inhérent à toute les femmes et que, plus tard,
à
mon tour, il me faudrait, moi aussi, réchauffer les miennes.
Elle portait,
coincé à son bras
potelé, un joli
bracelet fait de deux petits serpents qui se rejoignaient en croisant
leur tête. J’étais fascinée
par ce bracelet
que je pensais en or jusqu’au jour où sa fille
Monique me
confia qu’elle l’astiquait
régulièrement au
« MIR OR », produit dont on entretenait les cuivres
et du
coup, il perdit, à mes yeux, de son
intérêt.
Madame Salignon
et Monique montaient à bicyclette
d’ANTIBES tous les matins avec les porte-bagages
chargés
de livres et de cahiers car, en ce temps-là, très
peu de
gens possédaient une voiture et d‘ailleurs
l’essence
en était réglementée. De grands
garçons
allaient à leur rencontre pour pousser les vélos.
Elles
arrivaient avec leur cape de lainage bleu marine, tout
essoufflées mais heureuses d’être
là. La
journée pouvait commencer.
En principe la
classe ne bronchait pas. Bien sûr il y avait
au
fond, de temps en temps, quelques garçons
espiègles qui
faisaient les guignols, alors elle descendait de l’estrade
et,
que voulez-vous, de-ci de-là, quelques baffes partaient et,
si
cela ne suffisait pas, l’élève
était mis
à la porte et attendait la sortie.
C’était comme
ça l’école, on ne pouvait se permettre
de perdre
son temps. Il fallait que ça marche et ça
marchait. Il
faut dire que la plupart des enfants, à cette
époque,
étaient sans doute plus motivés, plus dociles, en
tout
cas plus disciplinés et moins retors.
En fin
d’année, les examens passés, les
résultats connus, le maximum reçu, notre
Directrice se
détendait. Tout son visage rayonnait avec son franc sourire
sur
les lèvres. Ses yeux, dont les lunettes étaient
plus
souvent posées sur son bureau, étaient
pétillants
et rieurs. Des parents passaient la complimenter ce qui la rendait
toute rose d’émotion et de plaisir.
Alors elle
était belle et je compris qu’elle nous
aimait.
Oui,
c’est ça…Elle était
belle Madame Salignon.
L'école
de Madame BERTONE
On y allait après la classe
en sautant et en criant par le
chemin des Ames du Purgatoire, mais en prenant à gauche le
chemin de terre
privé qui menait à sa demeure nous nous calmions
tellement la solennité
des lieux nous impressionnait, surtout celle
de son grand parc entouré d’arbres immenses et
peut-être plusieurs fois
centenaires.
Par contre Madame
BERTONE ne nous impressionnait pas du tout.
C’était une dame de taille
moyenne, plutôt menue. Je me souviens de ses cheveux
châtains parsemés de fils
d’argent ondulés
sur les côtés et
regroupés en arrière
en un rouleau
extérieur qu’elle tenait accroché
à l’aide d’épingles
qu’on appelait
« invisibles ». Les traits de son
visage étaient doux et réguliers.
Il n’y avait pas de Monsieur BERTONE. Je pense
qu’elle était veuve.
Elle nous installait dans sa cuisine tout en longueur située
en rez-de-jardin et nous prenions place sur des tabourets autour de la
grande
table rectangulaire, au fond les fourneaux
devant lesquels se tenait souvent une femme que je pensais
être sa
cuisinière. Je n’ai pas souvenance que quelque
mets, au fumet alléchant,
mijotait sur le feu : nous étions en guerre, les
restrictions étaient là
et, dans toutes les maisons, les denrées étaient
rares, distribuées
parcimonieusement avec les cartes d’alimentation desquelles
nous détachions des
tickets … Et encore quand les stocks
n’étaient pas épuisés. Mais
il y faisait
bon. Nous étions bien.
Madame BERTONE était très douce, très
patiente, ne grondait
pas et punissait encore moins. Il faut dire que nous étions
tous conscients de
son enseignement bénévole et soucieux de ne point
lui créer, en sus, de
désagrément à tel point que si
l’un de nous paraissait s’agiter il
était ramené
au calme par quelques coups de coudes donnés par ses voisins
de gauche comme de
droite. Le soir nous reprenions les exercices pas bien compris dans la
journée
et elle nous aidait à faire nos devoirs car, en cette
période de troubles, il
n’y avait pas souvent étude à
l’école.
Elle aimait tout naturellement les enfants et déployait des
trésors de patience envers nous. Ce fut tout aussi naturel
que, pour lui rendre
hommage, le lycée construit en ces lieux portât
son nom.
J’avais quelquefois le privilège de la suivre dans
son salon
auquel on accédait par un petit escalier en
colimaçon, et j’en redescendais
avec elle des livres pleins les bras. Ce salon donnant sur le parc
comprenait
une bibliothèque occupant tout un pan de mur. Tout me
paraissait précieux et je
prenais soin de ne rien heurter. Deux abat-jour, de couleur
orangée, diffusaient
une lumière tamisée. C’est
là que j’aperçus Pierre, le fils
BERTONE. L’absence
d’éclairage direct ne me permit pas de distinguer
les traits de son visage. Ses
apparitions
étaient furtives, si bien
qu’à cette heure, j’ai beau fouiller
dans ma mémoire, je n’y trouve
plus qu’une ombre.
On sentait Madame BERTONE inquiète et pleine de
recommandations pour son grand garçon en âge de se
battre. Un peu plus tard ses
craintes, hélas, se confirmèrent.
N’étant plus à ANTIBES je
n’ai pas eu le
chagrin de la voir pleurer.
Par contre de sa fille Hélène j’ai un
souvenir plus précis
pour l’avoir vue plusieurs fois en pleine lumière
dans le jardin, le jeudi
quand, à la belle saison, nous étions
installés autour de grandes tables de
bois sous les micocouliers. C’était une belle
demoiselle de 16 ou 18 ans avec
un teint clair de blonde aux yeux gris-bleu comme sa mère.
Elle était très
jolie et moi, si brune, j’aurais aimé
être blonde et belle comme elle.
C’est à Madame BERTONE que je dois
d’avoir compris la leçon
sur les propositions principales et relatives. J’avais
été humiliée en classe,
distraite ce jour là et restée coite devant le
tableau noir pour n’avoir pas su
répondre à cette règle de grammaire.
Elle s’est assise près de moi et j’ai
écouté religieusement ses explications tout en
caressant doucement du bout de
mes doigts son bras à la peau douce. Je lui dois de
m’en souvenir encore
aujourd’hui.
Mes parents me firent lui apporter en fin d’année
un petit
service de vaisselle en terre de VALLAURIS que mon
grand-père, potier dans
cette ville, avait fabriqué spécialement pour
elle. J’étais heureuse de lui
offrir de tout mon cœur ce simple présent en gage
de mon affection.
Elle était bonne Madame BERTONE, elle était douce
et comme
on l’aimait !
MARTINO Martine (épouse
RONDONI)